L'oeuvre de la machine
La perte de sens du travail est redoublée par la mécanisation et l'informatisation.
L'esprit coagulé
Max Weber appelle esprit coagulé le travail inscrit dans la machine.
Ce travail est la trace de celui des ingénieurs qui ont conçu la machine et des ouvriers qui l'ont réalisée.
Ce travail permet à la machine de produire, il représente donc également le travail qui s'effectue au présent grâce à l'activité singulière de la machine.
Il continue enfin d'agir sur celui qui manipule la machine en contraignant le comportement de ce dernier.
Ce dernier point ne concerne pas uniquement la machine dédiée à la production industrielle mais chaque outil qui nous assiste (de l'ordinateur à la feuille de papier).
La machine et l'homme
Par conséquent toute machine prive le travailleur d'une part de son action sur la matière.
Nous pourrions reconnaître que c'est précisément l'objectif, la machine est conçue pour travailler à notre place.
Sauf que :
elle ne nous a pas libérés pour autant du travail (certaines études estiment que le temps que nous passons aujourd'hui au travail est supérieur à celui que nous passions au Moyen-Âge).
dans toute tache il existe une part de praxis qui nous permet de développer une autonomie par rapport à la nature (ce gain disparaît quand l'esclave ou la machine travaillent à notre place).
Dans le travail moderne l'ouvrier n'est plus là pour transformer la nature mais pour servir la machine.
La machine devient centrale et l'être humain secondaire.
"Un accessoire vivant de la machine", Marx
Plus la machine est complexe et plus je m'éloigne de la fin visée par l'opération.
Lorsque je ne comprends plus comment la machine opère, je suis réduit à un simple rouage inconscient.
Celle qui réalise et qui est digne d'admiration c'est la machine et non le travailleur.
Je cesse de pouvoir me reconnaître dans ce que je produis.
Le processus de domination de la nature par l'homme se retourne et devient une domination de l'homme par les processus techniques.
"La mathématisation du monde", Husserl
Le renversement devient complet lorsque le processus de production devient entièrement mécanisé et informatisé.
Le travailleur n'est alors confronté qu'à une suite de symboles sur un écran qui est une représentation mathématisée de la réalité.
Le monde réel s'évanouit pour ne laisser subsister que des chiffres, nous perdons jusqu'à notre rapport au monde sensible.
Vers une désintégration sociale
Cette désintégration crée une rupture entre notre vie de travailleur et notre vie quotidienne.
La sphère privée devient le lieu de l'existence auto-régulée où l'individu tente de faire l'expérience de son existence propre.
Cette quête se fait à travers la consommation présentée comme le moyen de se singulariser et donc d'exister par rapport à autrui.
Le travail a alors subi sa révolution : on ne travaille plus pour subvenir à ses besoins naturels mais pour être en mesure de consommer, c'est-à-dire d'exister.
Chacun cherche à être par opposition aux autres, ce qui conduit à une rupture sociale.
Pour éviter que cet égoïsme mène à la destruction de la société, l'État se voit contraint d'accélérer la régulation externe des comportements.
La machine bureaucratique s'emballe.