La révolution cartésienne

Introduction

Un autre élément fondamental qui a conduit au modèle critique est lié à la conversion que l'on associe traditionnellement à Descartes qui renverse la perspective entre le sujet et l'objet.

Remarque

Il convient de se méfier de ces jalons méthodologiques qui ont tendance à nous pousser à associer les changements de paradigme[1] à des génies solitaires.

Dans le cas présent ce qui a permis à Descartes d'opérer cette transformation s'appuie sur une histoire complexe dont il est un rouage parmi d'autres.

On retient son nom comme le symbole de cette transformation parce qu'il est plus simple de retenir des transformations en s'appuyant sur des repères historiques.

De l'objet au sujet

Dans l'Antiquité et l'Âge Classique la connaissance était pensée à partir de l'objet.

Elle s'élaborait à partir d'éléments issus de la réalité sensible ou intelligible.

Le sujet abordait la connaissance à partir de l'extériorité.

Le Cosmos était premier et le sujet second.

De fait, mon existence en tant qu'être singulier (intériorité) me définissait moins que mon appartenance à des collectivités (la famille, la cité, la corporation de métier à laquelle j'appartenais, etc.)

J'étais d'abord de telle famille, de telle caste, de telle commune avant d'être un je, un caractère...

C'est une des raisons pour lesquelles la question de l'honneur avait tant d'importance, plus d'importance souvent que l'existence singulière de l'individu (j'étais prêt à sacrifier ma vie pour l'honneur de ma famille qui me semblait avoir plus d'existence que moi)

Du sujet à l'objet

Descartes dans ses Méditations Métaphysiques va s'efforcer de démontrer que l'origine de toute connaissance loin de se trouver dans le monde extérieur prend racine dans l'intériorité du sujet pensant.

« Descartes ne se contente pas d'affirmer l'existence du sujet humain et de le concevoir à la ressemblance de Dieu, mais pose l'existence du je pense comme la certitude première de la pensée. Dorénavant il ne sera plus possible d'atteindre l'être qu'à travers les déterminations du sujet. Le mouvement même de la pensée s'en trouve inversée : on ne va plus de l'être aux idées qu'on s'en fait, mais des idées contenues dans le sujet à l'être. » Sherringham, Introduction à la philosophie esthétique p. 121

Dès lors, toute connaissance est produite et déterminée par le sujet.

Les catégories de ma pensée vont déterminer toute connaissance.

Il se peut que cette connaissance n'ait aucun lien avec la réalité (chez Descartes seul Dieu est garant de la coïncidence entre ma connaissance et la réalité)

Le sujet devient donc premier, l'objet d'étude devient la connaissance elle-même plus que la réalité dont elle dérive.

Cette conception va avoir des conséquences historiques décisives. C'est la naissance de la modernité, la rupture avec l'Âge Classique et l'Antiquité.

Conséquence pour l'esthétique

Dans le cadre de l'esthétique la conséquence principale est que l'on va cesser de chercher la beauté dans l'objet.

Le centre de l'étude va se déplacer dans le sujet lui-même.

« La beauté n'est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l'esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. » Hume, Les essais esthétiques.

Définir le Beau ne consiste donc plus à déterminer les caractéristiques de l'objet mais la nature du jugement esthétique.

L'objet devient secondaire, on remonte invariablement de l'objet au sujet qui est le fondement constituant.

La question de Kant notamment ne sera plus :

  • « Quelle chose est belle ? » (Question que pose Hippias)

  • mais « Qu'est-ce que je veux dire quand je dis qu'une chose est belle ? »

Beauté naturelle et artistique

On comprend alors pourquoi la pensée critique considère que la Beauté peut être indifféremment naturelle ou artistique.

Ce n'est pas l'objet qui compte mais le ressenti du sujet.

Autrement dit la Nature et l'art ne sont que des occasions accidentelles pour le jugement esthétique.

Kant va jusqu'à considérer que ce qui est purement subjectif dans la relation à un objet est précisément ce qui relève de l'esthétique.