La sanction normalisatrice (pp. 209-217)

L'infrapénalité

Au-delà du Droit

Foucault va ici mettre en parallèle le Droit produit par l’État et qui s’impose aux citoyens avec ce qu’il appelle l’infra-pénalité, il s’agit de l’ensemble des règles produites par les différentes institutions auxquelles nous sommes soumis et qui vient se rajouter au premier.

Dans la mesure où le Droit est lacunaire, qu’il ne couvre qu’une partie des expériences humaines et ne parvient jamais aux détails de l’existence humaine.

Il va être doublé par une multitude de règlements particuliers mis en œuvre dans les divers lieux où les individus interagissent.

Ce sont dans les institutions (école, hôpital, armée, entreprise…) que l’on retrouve en miroir de la Justice : des sanctions, des magistrats, des salles d’audience…

Fondamental

« Au cœur de tous les systèmes disciplinaires, fonctionne un petit mécanisme pénal. Il bénéficie d'une sorte de privilège de justice, avec ses lois propres, ses délits spécifiés, ses formes particulières de sanction, ses instances de jugement. Les disciplines établissent une « infra-pénalité » ; elles quadrillent un espace que les lois laissent vide ; elles qualifient et répriment un ensemble de conduites que leur relative indifférence faisait échapper aux grands systèmes de châtiment. » p. 210

« À l’atelier, à l’école, à l’armée sévit toute une micropénalité du temps (retards, absences, interruptions des tâches), de l'activité (inattention, négligence, manque de zèle), de la manière d’être (impolitesse, désobéissance), des discours (bavardage, insolence), du corps (attitudes incorrectes, gestes non conformes, malpropreté), de la sexualité (immodestie, indécence). En même temps est utilisée, à titre de punitions, toute une série de procédés subtils, allant du châtiment physique léger, à des privations mineures et à de petites humiliations. » pp. 210-211

Complément

P. Jox - Forum des images - extrait

Ordre artificiel / Ordre naturel

Vers une adaptation

Foucault oppose l’ordre artificiel du Droit à l’ordre naturel de cette infra-pénalité disciplinaire.

  • Le Droit sanctionne des actes (volontaires ou non), il pose des limites à l’action des individus.

  • L’infra-pénalité vise un devenir des individus, c’est moins ce qu’ils font qui est sanctionné que l’écart entre ce qu’ils sont et la norme qui est prescrite.

    Celle-ci détermine une progression à laquelle le sujet doit s’adapter sous peine de sanction.

Fondamental

« Les enfants des écoles chrétiennes ne doivent jamais être placés dans une leçon dont ils ne sont pas encore capables, car on les mettrait en danger de ne rien pouvoir apprendre ; pourtant la durée de chaque stade est fixée réglementairement et celui qui au terme de trois examens n'a pu passer dans l'ordre supérieur doit être placé, bien en évidence, sur le banc des ignorants. » p. 211

Faits et processus

Foucault qualifie cet ordre de naturel parce qu’il se positionne non sur des faits mais sur des processus.

C’est ce que l’individu doit devenir qui est jugé davantage que ce qu’il est.

Plus exactement Foucault note que le Droit porte toujours sur le fait seul, quand le disciplinaire porte en même temps sur le fait et sur le devenir.

  • Le Droit ne sanctionne pas parce que nous ne sommes pas capables de faire ceci ou cela mais parce que nous avons fait ceci ou cela, l’absence ou l’inaction ne sont pas pénalisables.

  • Le disciplinaire sanctionne tout autant l’acte et l’absence d’acte en fonction d’une norme instituée extérieurement.

La contamination du Droit

Ceci étant dit, les spécificités du mode disciplinaire vont progressivement contaminer le Droit : « c’est lui qui a peu à peu investi le grand appareil extérieur qu’il semblait reproduire modestement ou ironiquement. »

Sanction exemplaire / sanction corrective

Vers la norme

La sanction dans le Droit est avant tout exemplaire, elle vise à frapper la conscience du spectateur et du condamné qui éviteront par la suite de se retrouver dans cette situation.

Dans la discipline la sanction est d’abord corrective, elle cherche à réduire chez le sujet l’écart avec la norme instituée.

Ainsi quand je vous mets une mauvaise note l’objectif n’est pas de provoquer en vous la honte mais de vous amener à vous adapter aux consignes, vous signaler l’écart avec la norme visée.

Pour autant la honte qu’elle peut susciter n’est pas à négliger puisqu’elle peut servir de moteur pour réduire l’écart au plus vite.

Au fond la sanction disciplinaire cherche moins à éviter certaines pratiques qu’à faire advenir de nouveaux comportements ou de nouvelles aptitudes indépendamment de la volonté des individus eux-mêmes.

Fondamental

« Les pensums sont de toutes les pénitences, celle qui est la plus honnête pour un maître, la plus avantageuse et la plus agréable aux parents » ; ils permettent de « tirer, des fautes mêmes des enfants, de moyens d'avancer leurs progrès en corrigeant leurs défauts » ; à ceux par exemple « qui n'auront pas écrit tout ce qu’ils devaient écrire, ou ne se seront pas appliqués à le bien faire, on pourra donner quelque pensum à écrire ou à apprendre par cœur. » J.-B. de La Salle, Conduite des Écoles chrétiennes (1828)

Objection

Cette méthode entre en contradiction avec les conseils donnés notamment par Rousseau dans L’Émile.

En effet, il recommande pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture que l’enfant en ressente le besoin.

Il estimerait sans douteici que si la sanction reprend ce que l’on souhaite voir advenir chez l’élève nous ne parviendrons que rarement à notre but.

Si je suis puni de ne pas avoir lu par une sanction de lecture, il y a fort à parier que je considérerai d’autant plus la lecture comme une activité négative, puisque je l’associerai à la punition. Il est alors peu probable que je me mette à lire par plaisir.

Réponse

La punition « est moins la vengeance de la loi outragée que sa répétition, son insistance redoublée » p. 211

Ainsi la punition ne s’adresse pas à la raison de l’apprenant, elle cherche par la répétition à créer des réflexes.

Une fois encore il s’agit moins ici d’éducation que de dressage.

L’objectif n’est pas de faire désirer la norme mais de l’intégrer au sujet à travers l’exercice redondant, c’est la raison pour laquelle Foucault note que le repentir est accessoire.

La récompense

La discipline s’appuie non seulement sur la sanction mais également sur la récompense pour conduire les sujets vers l’acquisition de la norme.

Cette dernière est souvent plus efficace que la sanction pour amener les sujets vers un objectif.

Il s'agit également d'un processus qui vise à invisibiliser le mode disciplinaire pour le rendre plus efficace.

La micro-économie sanctions/récompenses

Se développe toute une micro-économie autour du système sanction/récompenses qui permet d’augmenter la visibilité du classement en générant des inégalités.

La réussite permet d’accumuler des points qui serviront à s’affranchir de sanctions.

Ainsi, les bons élèves sont doublement bénéficiaire de ce système. Non seulement ils reçoivent moins de sanction mais encore s’il arrivait qu’ils en reçoivent une ils peuvent s’en affranchir.

Par opposition ceux qui peine à accéder à la norme sont doublement punis.

Dans le système scolaire actuel on retrouve en parti ce mécanisme, dans la mesure où les bons élèves sont non seulement valorisé par leurs notes, mais encore par l’institution et par leur parents.

Ce sont eux qui bénéficient des félicitations, voire qui touchent des primes de la part d’autres institutions (je pense notamment à la mairie d’Angoulême qui délivre des chèques de 100€ à ceux qui obtiennent une mention très bien au bac).

On le voit ce ne sont ni les efforts, ni les progrès qui font ici l’objet d’une gratification mais la seule atteinte de la norme.

Généralisation du processus

J’ai ici parlé essentiellement de l’école mais on retrouve ce processus à l’œuvre dans le monde de l’entreprise notamment, tout un jeu de petite prérogatives sont distribuées à ceux qui s’adaptent le mieux et de l’autre côté du spectre de petites vexations, humiliations sont réservées à ceux qui n’y parviennent pas.

Foucault fait état d’une généralisation de cette économie qui à travers le rang et des signes visibles permet de stigmatiser les individus, de rendre visible leur place au sein d’un classement et de les traiter en conséquence (la classe honteuse).