Le développement
Question
Rédigez le développement de l'explication du texte d'Alain.
Solution
Exemple n°1 - Première partie
Alain distingue ce qu’il appelle le bonheur reçu du bonheur que l’on se fait. Le premier terme n’est pas définit dans le texte mais ne semble pas présenter de difficulté. Le bonheur est souvent conçu comme un plaisir lié à l'acquisition d'un objet matériel ou spirituel. Nous le disions en introduction, certains cherchent le bonheur dans la richesse et d’autres dans d’autres objets. Le qualifier de reçu, signifie qu’il nous vient de l’extérieur, que nous ne l’avons pas produit par nous-même. De fait, lorsqu’un évènement qui nous procure du plaisir survient, nous disons que sommes heureux. Un cadeau inattendu par exemple. Cette définition du bonheur correspond bien à l’idée première que nous nous en faisons et la pratique confirme cette idée. Le plaisir surgit de la consommation de certains objets qui nous entourent et le bonheur consiste dans l’accumulation de ces plaisirs. Mais voilà, loin de confirmer cette définition du bonheur, Alain s’empresse de la nier. Il nous dit : il n’y a point de bonheur reçu ! Pourtant nous sentons bien que nous sommes heureux dans ces conditions, pourquoi nier l’évidence ?
Parce que le bonheur reçu nous trompe, c’est-à-dire qu’il se fait passer pour ce qu’il n’est pas. Cela ressemble au bonheur, mais à l’usage nous constatons qu’il est incapable de tenir ses promesses. C’est pourquoi nous échouons si souvent, nous le cherchons là où il n’est pas, nous prenons ces petits plaisirs de la consommation pour des parcelles de bonheur et nous nous efforçons vainement de les accumuler. Il ne s’agit pas ici d’élaborer une critique en règle de cette idée, nous nous contenterons de dire que l’habitude d’un plaisir de consommation l’affadit nécessairement et nous conduit dans une spirale qui nous pousse à chercher perpétuellement des plaisirs neufs pour prendre la place des anciens. Une telle quête est vouée à l’échec. Alors, où se cache le véritable bonheur ?
Dans ce que l’auteur appelle le bonheur que l’on se fait et qui consiste à apprendre. Ici une première difficulté apparaît. Si le plaisir c’est apprendre et que, comme le dit Alain, on apprend toujours, il faudrait en conclure que nous sommes nécessairement et constamment heureux ce que la pratique récuse. Pour sortir de l’impasse il convient de considérer le terme toujours non pas relié au bonheur mais à l’apprentissage, ce que souligne l’auteur c’est qu’il reste toujours à apprendre et si le véritable plaisir se trouve effectivement dans l’apprentissage, dans la mesure ou celui-ci n’a pas de fin, nous sommes en mesure d’être heureux tout le long de notre vie. De fait un musicien par exemple n’a jamais fini d’apprendre, il lui est toujours loisible d’affiner sa pratique, d’approfondir des genres musicaux ou encore d’en inventer de nouveaux.
Reste cependant le point le plus délicat : comment peut-on considérer que le bonheur se trouve dans l’apprentissage ? Ce dernier n’est que rarement perçu comme un plaisir, il nous arrive régulièrement de l’aborder à reculons parce que, précisément, ils ne nous apportent pas de plaisir.
Deuxième partie
Pour surmonter le paradoxe Alain fait appel à Aristote et rapporte ici la citation suivante : « les plaisirs sont les signes des puissances ». Pour rendre compte de cette affirmation il convient de rappeler brièvement ce qu’Aristote entend par puissance. L’enfant nous dit Aristote est une homme en puissance. Cela signifie qu’il doit cultiver non seulement son corps afin de développer ses capacités physiques mais encore son âme pour devenir un être humain accompli. De même la graine possède en elle des dispositions qui ne deviendront actuelles que si elle pousse dans un environnement propice, de même nous possédons des qualités qui ne se révéleront qu’à la suite d’une pratique exigeante et régulière. Nous devons donc travailler à devenir des hommes et des femmes accomplis, réaliser en acte des puissances. À défaut, nous restons des brutes, caricatures d’humains. Si nous voyons ici la nécessité de l’apprentissage, le rapport au bonheur reste obscur. Qu’en est-il exactement ?
Le terme signe, dans la citation d’Aristote, indique qu’il ne s’agit pas de la chose elle-même mais d’un objet dont la présence est nécessairement liée à la chose en question et par là prouve sa présence. Le plaisir n'est donc pas la puissance mais indique cette puissance. Prendre du plaisir consiste ici à réaliser quelque chose qui n'était pas encore advenu et qui attendait que nous le réalisions. Alain ajoute que « le signe du progrès véritable en toute action est le plaisir qu’on sait y prendre ». C’est là une idée qui s’accorde bien avec notre pratique. Même si l’on porte notre attention sur des activités qui relèvent du loisir plutôt que du travail, nous constatons que le plaisir que nous prenons est lié aux progrès qui sont les nôtres. Nous prenons du plaisir par exemple à un jeu vidéo lorsque nous constatons que nous parvenons à surmonter certaines difficultés qui nous paraissaient hors de notre portées quelques temps auparavant. Et ce qui est vrai du jeu l’est également de toute action, constater une amélioration dans l’accomplissement d’une tâche génère invariablement du plaisir chez l’agent.
Il est à noter que le plaisir dont il est question ici diffère grandement de celui de la simple consommation d’un objet extérieur. Dans le bonheur reçu nous sommes spectateurs pourrait-on dire alors que dans le bonheur que l’on se fait nous sommes acteurs. Les progrès qui sont les nôtres modifient ce que nous sommes alors que l’acquisition d’un bien quelconque s’ajoute seulement à notre environnement. Dès lors il n’est pas nécessaire dans le bonheur que l’on se fait de chercher de nouveaux objets pour nous satisfaire puisque le plaisir est en nous, c’est en actualisant nos puissances que nous sommes alors heureux. C’est ce qui permet à Alain de qualifier le travail de délicieux, car le progrès est indissociable du travail.
Si nous reconnaissons bien l’existence de ce plaisir, il semble plus délicat de nous accorder avec la citation complète : « Le travail est la seule chose délicieuse et qui suffit ». De fait la pratique ne coïncide pas avec cette idée. Le travail n’est pas considéré comme une promesse de plaisir, sinon nous irions invariablement travailler avec entrain. C’est par une nouvelle distinction, cette fois au sein du travail, que l’auteur parvient à surmonter cette difficulté.
Troisième partie
Le travail s’il reste une activité qui demande un certain effort peut prendre deux formes radicalement distinctes. Il y a d’une part le travail libre et de l’autre le travail mécanique. Le premier serait « effet de puissance à la fois source de puissance ». D’une part, l’effet est ce qui suit nécessairement la cause, donc le travail ainsi entendu provient d’une puissance qui attendait d’être réalisée, il consisterait en un déploiement de l’être. D’autre part, la source désigne ce qui est à l’origine, dont découle quelque chose. Le travail produit donc de la puissance. En travaillant non seulement j’actualise des capacités présentes en moi mais encore j’en éveille d’autres. L’exemple de l’artisan est ici éclairant, le maçon qui construit une maisonnette ne se contente pas d’activer un savoir-faire qu’il possède mais par surcroît il apprend, il affine son savoir ou en développe de nouveaux ; chaque pierre par ses qualités propres le conduit à adapter son savoir afin qu’elle s’intègre précisément à l’œuvre. Si le véritable plaisir réside dans le progrès de l’individu nous voyons clairement que cette manière de travailler est la clef du bonheur, car le progrès s’effectue non seulement dans l’activation de son savoir mais plus encore dans une pratique qui nous demande à chaque instant d’inventer, de contourner les obstacles qui se présentent.
À présent, si notre activité consiste uniquement à faire ce que nous savons, si toute possibilité d’invention nous est interdite, le progrès cesse et nous approchons de la perfection mécanique dont parle Alain. Un travail contraint est un travail qui prive l’agent de cette possibilité d’innovation personnelle. L’exemple le plus frappant reste sans doute le travail à la chaîne dans lequel l’ouvrier est pour l’essentiel privé de lui-même : il ne peut ni choisir sa manière de produire (les étapes de réalisation, les outils employés…), ni le rythme qui lui convient. L’ensemble du processus est rationalisé indépendamment de lui. Le simple fait de remplacer la pierre imparfaite par le parpaing calibré, affaiblit considérablement la capacité du travail à produire du plaisir. Ce que le maçon gagne en productivité il le perd en progrès potentiel. Il n’a plus besoin de réfléchir au moyen d’intégrer une pierre singulière à un mur singulier, il n’apprend plus il exécute comme une machine. Lorsqu'une activité est à ce point intégrée qu'elle devient automatique (conduire d'une voiture par exemple) elle ne produit plus de plaisir parce qu'il n'y a plus de progrès. C'est ce qui amènera Cicéron à dire : « Quiconque donne son travail pour de l'argent, se vend lui-même et se met au rang des esclaves. »
Ainsi, si le travail nous apparaît comme une activité détestable ce n’est pas uniquement parce qu’il demande un effort mais surtout parce que certains travaux n’apportent aucun progrès chez l’agent. Il n’y a donc que le travail libre qui soit source de progrès chez l’individu, or de ce progrès découle un plaisir consistant qui est la matière du bonheur véritable.
Solution
Exemple n°2 - Première partie
Alain expose d’abord la thèse qu’il veut combattre, à savoir qu’il n’est pas possible d’atteindre le bonheur. Il semble l’accorder en précisant que le bonheur qu’on ne peut atteindre est celui qui est reçu. Il faut comprendre qu’un tel bonheur, conformément à l’étymologie du terme qui désigne une heureuse rencontre, ne dépend de nous. Aussi les événements peuvent nous ravir ce qu’ils nous ont accordé. C’est pourquoi on pense que le bonheur qui n’est pas une simple satisfaction passagère mais un état durable de joie est insaisissable. Or, de façon déroutante, Alain accorde une vérité à l’opinion qu’il combat, en niant ce qu’elle présuppose, à savoir que le bonheur est reçu. Il ne nie pas pour cela que le bonheur soit possible. C’est pourquoi il lui oppose sa thèse sur le bonheur.
Elle consiste à considérer que le bonheur véritable réside dans l’action même du sujet. Or, lorsqu’on entreprend quelque chose, il peut se faire que les événements nous soient contraires. Qu’est-ce donc qui dans l’action ne dépendrait que de nous ? Selon Alain, le bonheur qui ne dépend que de nous consiste à apprendre. Or, là encore, on pourrait dire qu’il ne dépend pas toujours de nous qu’on apprenne. Dire qu’on apprend toujours permet à Alain de penser la continuité du bonheur. Il précise cela en indiquant que celui qui sait n’est pas celui qui n’a plus rien à apprendre, mais au contraire celui qui est encore plus capable d’apprendre. C’est dans l’acte même d’apprendre que se situe le bonheur. Alain l’illustre avec l’exemple du latiniste. C’est qu’en effet, ce qu’il apprend c’est le latin. C’est donc quelque chose qui est connu par d’autres. Aussi plus il apprend, plus il sait et plus il peut apprendre. Alain prend comme deuxième exemple celui du musicien. S’il est vrai que le musicien qui apprend de la musique qui existe déjà ne peut qu’apprendre indéfiniment, il n’en est peut-être pas de même du musicien qui veut créer. Dès lors, il demeure une ambiguïté dans le propos d’Alain.
Aussi ce dernier exemple est l’occasion pour Alain de se référer à Aristote. En effet, il reprend deux exemples d’Aristote, l’un relatif à la musique et l’autre à la politique. Aristote définit le vrai musicien et le vrai politique selon les dires d’Alain par le fait que l’un et l’autre éprouve du plaisir dans l’activité. On voit donc que ce n’est pas n’importe quelle activité qui permet le bonheur, mais celle qui correspond à l’individu. Ce qu’Alain néglige de préciser, c’est comment on peut savoir quelle est l’activité qui nous correspond. Il faut la découvrir. Or, il est possible que quelqu’un vive dans des conditions telles qu’il ne trouve pas son activité. En ce sens, le bonheur comprend quelque chose de reçu malgré qu’Alain en ait.
Toujours est-il que le philosophe cite Aristote en lui donnant raison. La citation généralise les exemples, à savoir que le plaisir a valeur de signe des puissances. Par ce dernier terme, il faut comprendre une capacité. À la musique en puissance le musicien, c’est-à-dire celui qui est capable à tout moment de faire de la musique et de même pour la politique. Dire que le plaisir est signe d’une puissance, c’est dire qu’il permet à celui qui prend du plaisir à une activité de savoir que c’est la sienne. Mais encore une fois, encore faut-il qu’il rencontre l’activité qui est sienne en puissance. Quelques mots qui forment une parenthèse constituent une apologie d’Aristote dont le génie n’a pas été assez reconnu selon Alain et dont la thèse énoncée lui paraît être une manifestation remarquable. Alain résume sa thèse en précisant que le plaisir est le signe du progrès. Mais comme il précise que c’est le plaisir qu’on est capable de prendre dans l’action elle-même, il faut comprendre que ce plaisir n’est pas ce qui résulte de l’action, mais ce qui l’accompagne.
Or, toute action implique de faire quelque chose. Cela signifie donc paradoxalement que le bonheur peut se trouver dans le travail qui passe pour souffrance et peine. Comment est-ce possible ?
Deuxième partie
Alain en déduit que le travail est une chose délicieuse. Il précise que c’est la seule. Or, délicieux s’entend de ce qui nous fait plaisir. Il est clair que le travail qui, étymologiquement, peut être dérivé du latin “tripalium”, qui désignait un instrument sur lequel on attachait les esclaves pour les torturer, ne passe pas habituellement pour délicieux. Alain précise qu’il ne parle pas du travail en général, mais du travail libre. Il précise qu’un tel travail est à la fois effet de puissance et source de puissance. Effet, en tant qu’il provient de l’activité. Source en tant qu’il donne justement la capacité. On retrouve là l’idée que le bonheur réside dans une activité qui repose sur soi. Aussi indique-t-il qu’il répète que c’est dans l’action que réside le bonheur et non dans la passivité, celle de l’attente d’une satisfaction. Or, pourquoi serait-ce dans le seul travail que résiderait la possibilité du bonheur ?
Alain illustre son propos en se référant à un exemple qui a pu être observé par n’importe lequel de ses lecteurs, à savoir celui de maçons qui, dans leur temps libre, se construisent une maison. Il est clair d’abord que construire une maison fait partie du travail du maçon. Mais la maisonnette que construit le maçon que prend Alain en exemple est celle qu’il veut construire pour lui hors de son travail au sens du métier. Il précise l’exemple en demandant qu’on pense au maçon en train de choisir chacune de ses pierres. Voilà donc le travail libre. Pourquoi donc le travail est-il seul à rendre possible le bonheur ? Parce que seul le travail entendu au sens d’une libre activité ne dépend que de soi.
Alain généralise son exemple en disant qu’on trouve le plaisir de faire dans tous les métiers. Il faut comprendre non pas qu’un métier procure du plaisir mais que c’est le contenu du métier qui procure du plaisir. Le prouve la raison qu’il en donne, à savoir que dans son métier, l’ouvrier crée et apprend dans son activité.
Pour le prouver, il oppose à ce travail qui rend heureux, la perfection mécanique. Il faut entendre par là que le travail est bien fait mais de façon telle qu’une machine pourrait le faire. Aussi n’y a-t-il rien de libre. Aussi un tel travail « apporte l’ennui ». On désigne par là le sentiment d’une sorte de vide senti qui est paradoxal en ce qui concerne le travail qu’il consiste justement à faire quelque chose.
Il oppose également le fait sociopolitique de la dépossession de l’ouvrier qui réside en ce que l’œuvre ne lui appartient pas. C’est le cas du travail moderne où l’ouvrier ne réalise qu’une partie de la tâche globale. Aussi ne peut-il que répéter. Bref, le travail qui ne rend pas heureux, est le travail aliéné pour parler comme le jeune Marx des Manuscrits de 1844. Il ne peut rien apprendre et donc ne peut être heureux.
Alain oppose donc au travail non libre le travail libre qu’il illustre par l’exemple du paysan. Il parle bien sûr du paysan propriétaire de sa terre, en quoi on voit en quoi la propriété peut être liée à la liberté. Une condition politique se dessine donc pour que les hommes soient heureux. Et cette condition politique, il ne dépend nullement absolument de chacun qu’elle soit. On peut donner donc raison à Aristote qui déclarait que le bien vivre, soit le bonheur est la fin de la cité dans sa Politique.
Or, ce qui s’oppose à la réalisation du bonheur, c’est l’idée répandue qu’Alain nomme rumeur qui refuse la peine. Et la condition, c’est justement la croyance que le bonheur est reçu. Aussi, non seulement l’idée que le bonheur est reçu est fausse, mais elle est un obstacle à l’accession au bonheur en ce sens qu’elle empêche de voir que la peine est bonne. Qu’entendre par là ? Ne vaut-il pas mieux vivre sans peine ? Est-elle un ingrédient qui permet d’apprécier le plaisir ?
Troisième partie
Dire que la peine est bonne ne signifie nullement qu’il faut souffrir pour obtenir du plaisir parce que le désir serait manque et le plaisir comblerait ce manque. Sinon, il faut alors penser que le bonheur est impossible et le rejeter comme une sorte d’illusion à l’instar de Schopenhauer dans Le monde comme volonté et comme représentation. Aussi Alain lorsqu’il donne comme raison que la peine est bonne, argument qu’il rapporte à Diogène. Celle-ci désigne l’effort qui nous donne la puissance. Or, cette peine ne précède pas le plaisir : elle l’accompagne. Elle est bonne non seulement parce qu’elle nous permet d’acquérir une capacité, mais en outre pendant l’effort lui-même, le plaisir pris à l’activité se manifeste.
Pour que cette peine en ce qu’elle comprend quand même de douleur ne soit pas un obstacle au bonheur, il est nécessaire selon Alain par la réflexion de transformer cette peine en un plaisir. Il y a en effet contradiction entre peine et plaisir. L’esprit qui pense cette contradiction souffre. S’il la surmonte – ce que le philosophe justement fait dans son texte – alors il trouvera du plaisir. Dès lors, la réflexion sur le bonheur est elle-même une condition pour être heureux.