Le divertissement pascalien

Définitions

  • Sens commun : jeux et amusements

  • Sens de Pascal : ensemble des stratagèmes permettant inconsciemment à l’homme d’esquiver la conscience de sa misère.

Justification

L’homme est misérable :

  • de par sa nature mortelle

  • et parce qu’il est privé de Dieu, le seul être à pouvoir l’en sauver.

Pour supporter cela, il n’a d’autre solution que de se distraire le plus possible afin d’y penser le moins possible.

Exemple

Ce qui importe est la chasse et non la prise

Le chasseur se persuade que c’est la possession du lièvre après lequel il se fatigue à courir qui justifie tous ses efforts, alors qu’en réalité il n’en voudrait pas si on lui avait offert l’animal.

Pascal, divertissement (in. Pensées)

On charge les hommes dès l’enfance du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis, on les accable d’affaires de l’apprentissage des langues et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux, sans que leur santé, leur honneur, leur fortune, et celles de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose qui manque les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous une étrange manière de les rendre heureux ; que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on pourrait faire : il ne faudrait que leur ôter tous ces soins, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, et jouer, et s’occuper toujours tout entiers.

Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.

Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir ? Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.

Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état propre de sa complexion[1]. Et il est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir.

Le divertissement désigne aussi bien les activités frivoles que les activités sérieuses.

« Le roi est environné de gens qui ne pensent qu’à divertir le roi et à l’empêcher de penser à lui. Car il est malheureux tout roi qu’il est s’il y pense. »

Aspect positif

Si le divertissement est une fuite, une esquive de l’homme face à sa condition, il n’en suppose pas moins la conscience de celle-ci.

« Le peuple a les opinions très saines. Par exemple : d’avoir choisi le divertissement, et la chasse plutôt que la prise. Les demi-savants s’en moquent et triomphent à montrer là-dessus la folie du monde, mais par une raison qu’ils ne pénètrent pas, on a raison. »

Aspect tragique

À travers les buts illusoires que nous poursuivons, nous laissons insensiblement le temps nous échapper.

« Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

Conclusion

le divertissement chez Pascal représente un paradoxe : il est à la fois ce qui nous ôte le poids du malheur et ce qui nous empêche d’accéder au bonheur.