Un déterminisme « inclinant »

Il nous reste à présent à évoquer l'hypothèse d'une liberté positive qui ne se réduirait pas à une simple capacité d'opposition au déterminisme.

Pour ce faire nous allons commencer par distinguer le déterminisme scientifique du fatalisme.

DéfinitionFatalisme

« Doctrine suivant laquelle la volonté et l'intelligence humaines sont impuissantes à diriger le cours des événements ; en sorte que la destinée de chacun est fixée d'avance, quoi qu'il fasse. »

Vocabulaire technique et critique de la philosophie

ExempleLa Fontaine, Extrait de L’horoscope (1678)

Même précaution nuisit au Poète Eschyle

Quelque Devin le menaça, dit-on,

De la chute d'une maison.

Aussitôt il quitta la ville,

Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.

Un Aigle, qui portait en l'air une Tortue,

Passa par là, vit l'homme, et sur sa tête nue,

Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,

Étant de cheveux dépourvue,

Laissa tomber sa proie, afin de la casser :

Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer.

Je vais commenter un texte de Leibniz qui éclaire cette confusion et ouvre la voie à une nouvelle façon de concevoir le rapport de la liberté au déterminisme.

Le fatalisme se trompe sur la nature du déterminisme

Nous ne pouvons déduire du déterminisme que l'avenir est entièrement déterminé quoi que l'on fasse.

  • le déterminisme se contente d'affirmer que de telle cause découlera tel effet ;

  • le fatalisme, lui, suggère qu'il peut y avoir l'effet sans qu'il y ait la cause.

En effet, selon le fatalisme et pour reprendre l'exemple de Leibniz, s'il est écrit que je mourrai empoisonné alors, même sans prendre de poison de ma vie, je mourrai empoisonné.

Ceci est rigoureusement contraire au déterminisme même.

C'est pourquoi Leibniz dit « il est faux que l'événement arrive quoi qu'on fasse ; il arrivera, parce qu'on fait ce qui y mène ».

Liberté positive

Il y a donc une confusion conceptuelle entre déterminisme et fatalisme qui nous fait considérer que la liberté est incompatible avec le déterminisme, mais cette confusion levée il semble bien qu'une place se dégage pour la liberté.

Car si nous savons de quelles causes découle quel effet, nous pouvons agir pour la réalisation de l'effet ou, au contraire, lutter contre son apparition.

Ainsi, Leibniz lui-même affirmera (toujours dans son Essais de Théodicée) : « La prédestination que j'admets est toujours inclinante et jamais nécessitante ».

Un déterminisme conditionnel

Si telles conditions sont réunies, tel effet s'en suivra.

Les motifs qui sont à l'origine de notre acte peuvent donc bien entrer dans les conditions de l'apparition du phénomène.

Notre action devient une condition supplémentaire dans le déterminisme qui fera ou ne fera pas advenir le phénomène.

Exemple

  • Si je sais que lorsque je ne travaille pas j'ai de mauvaises notes, alors j'ai le choix de travailler ou non et d'en subir les conséquences.

  • Si la valeur de mes notes varie sans que je puisse en expliquer la cause, alors mes choix sont sans valeur au regard de mes ambitions.

Solution élégante

C'est là une solution particulièrement étonnante car c'est le déterminisme même qui rend alors possible la liberté.

Car si nous étions dans l'incapacité de prévoir l'avenir nous ne pourrions déterminer notre volonté à agir d'une façon ou d'une autre efficacement.

La liberté serait alors le pouvoir d'influer sur la réalité pour rendre plus probable l'apparition de tel ou tel phénomène

Pour peu que nous limitions le champ de notre liberté à ce qui dépend de nous.

FondamentalConclusion en demi-teinte

Il convient cependant de reconnaître que la restauration de cette liberté positive reste purement hypothétique.

  • Notre argumentation est inductive, nous ne faisons jamais l'expérience concrète de notre liberté mais son hypothèse ne semble pas entrer en opposition avec l'expérience.

  • Nous pourrions sans difficulté rendre compte d'une réalité entièrement déterminée sans aucun recours à la liberté humaine.

    Ou bien, en nous appuyant sur les avancées de la mécanique quantique, considérer qu'une part de hasard entre dans l'organisation de l'univers et réduire une fois de plus la liberté à une illusion réconfortante.