Le sacré
Définition : Sacré
« Qui appartient à un domaine séparé, inviolable, privilégié par son contact avec la divinité et inspirant crainte et respect. »
CNRTL
Le sacré peut apparaître lorsque nous nous trouvons confronté à un phénomène qui dépasse nos facultés de compréhension.
Comme s'il répondait à des lois différentes de celles qui régissent notre réalité quotidienne.
La rupture est trop forte pour que nous soyons en mesure de rapprocher ce phénomène de quelque chose de connu.
Cette incompréhension provoque une certaine forme d'angoisse, de fascination justement liée à cette rupture radicale.
Alors peut advenir l'idée que ce phénomène répond à des lois qui dépassent l'entendement, un autre ordre de réalité à laquelle nous n'avons pas accès.
Nous pourrions nous contenter d'affirmer qu'il s'agit là de pure superstition, ou au contraire reconnaître cela comme une faculté proprement humaine.
Ainsi, un grand nombre d'anthropologues estiment que ce qui a distinguer l'homme des autres singes à station verticale repose sur le rite funéraire. Non les outils ou le développement du langage mais avant tout le fait d'enterrer les morts et de leur vouer un culte. Or, une telle pratique relève justement du sacré, c'est-à-dire de la reconnaissance de l'existence d'une réalité qui nous dépasse mais qui n'en est pas moins réelle.
« Selon Camille Tarot, (sociologue des religions) le concept du sacré est conçu par les anthropologues contemporains comme la réponse à un ensemble d'expériences propres non seulement aux sociétés archaïques et traditionnelles mais aussi à toutes les autres cultures qui leur ont succédé. Il semble devoir être admis comme une donnée constitutive de la condition humaine. »
Wikipédia.
L'idée n'est pas de démontrer l'existence du sacré à partir de réalités métaphysiques mais de constater que le sacré se déploie et pas uniquement accidentellement mais dans toute société quelle qu'elle soit. En ce sens nous ne pouvons nous contenter de le nier car il ne repose sur rien de rationnel.
Le monde serait alors constitué d'espaces profanes (le monde quotidien) portant en son sein (et non à l'extérieur de lui) un espace sacré. Car c'est bien à l'intérieur du profane que le sacré apparaît, il ne s'agit pas d'une autre réalité posée à côté, mais d'une réalité intimement mêlée au profane.
Le rôle du religieux étant alors de circonscrire le sacré, de démêler le sacré du profane pour l'établir clairement aux yeux de tous.
Le miracle en ce sens n'est reconnu comme miracle à part entière qu'à partir du moment ou les instances religieuses le reconnaissent comme tel. La reconnaissance du sacré devient une prérogative de l'Église.
Cette distinction entre sacré et profane pour se distinguer de la superstition doit donc être reconnue comme une puissance humaine à percevoir intuitivement une transcendance, une capacité à récuser l'idée selon laquelle tout est immanent.
Définition :
Immanent :
« Qui réside dans. »
CNRTLTranscendant :
« Qui se situe au-delà du domaine pris comme référence; en partic., qui est au-dessus et d'une nature radicalement supérieure. »
CNRTL
L'une des difficultés majeure que rencontre le monde moderne pour comprendre la relation au sacré de certains individus ou de certains peuples consiste dans le fait qu'ils ne voient que la réalité immanente de l'objet, ils ne comprennent pas que l'on puisse ainsi adorer un arbre ou un rocher.
« En manifestant le sacré, un objet quelconque devient autre chose, sans cesser d'être lui-même, car il continue de participer à son milieu cosmique environnant. Une pierre sacrée reste une pierre ; apparemment (plus exactement : d'un point de vue profane) rien ne la distingue de toutes les autres pierres. Pour ceux auxquels une pierre se révèle sacrée, sa réalité immédiate se transmue au contraire en réalité surnaturelle. »
Mircéa Eliade, Le sacré et le profane.
Cette réalité surnaturelle présente dans le sacré ne peut donc être expliquée rationnellement sans la faire redescendre dans le profane. Si je parviens à expliquer d'où provient ce sens qui ne se perçoit pas de façon rationnelle, si j'en explique la genèse alors je perds justement le sacré lui-même.
C'est ce qui, semble-t-il, amènera Eliade à affirmer que l'apparition ou la disparition du sacré dépasse les compétences de l'historien des religions.
Pour autant, même le plus rationaliste des individus reconnaît que nous avons une tendance naturelle à sacraliser certains objets ou certains lieux.
Un paysage de jeunesse, un objet qui nous rattache à une expérience heureuse nous allons lui accorder une valeur symbolique, un attachement sentimental qui le rapproche du sacré.
Une telle reconnaissance amèneront des auteurs tels que Daniel Dubuisson (historien des religions) à émettre une hypothèse sur l'origine du sacré :
Nous avons une prédisposition innée à classer les objets du monde et à leur donner sens, à leur associer des signes afin de les distinguer les uns des autres. Or cette compréhension ne relevant non pas de l'objectivité mais de la subjectivité humaine consiste justement déjà à mettre dans l'objet plus qu'il ne m'apparaît.
Ainsi, la genèse du sacré cesse d'être mystérieuse pour redescendre dans une pratique quotidienne, ce qui la différencie du profane consiste dans le fait de pousser cette adjonction de signes au-delà de la normalité.
Il ne s'agit plus d'une différence de nature mais uniquement d'une différence de degré.
Mais on voit bien qu'une telle entreprise tend avant tout à faire redescendre le sacré de sa transcendance pour le ramener à l'immanence. C'est le refus de donner foi à une réalité qui dépasse la rationalité. L'affirmation que si une chose est, elle doit être explicable rationnellement sinon elle n'est pas.
L'attitude de Daniel Dubuisson part du présupposé qu'il n'y a pas de sacré, par opposition à Mircéa Eliade qui reconnaît la possibilité du sacré.