Tentative d'un théoricien contemporain du design
Introduction
C'est la raison pour laquelle S. Vial va s'efforcer de dépasser le paradoxe en considérant qu’il y a ici une confusion : « si le moyen du design est l’industrie ce n’est pas sa fin »
.
Par moyen il faut entendre ici l’objet sur lequel il se déploie, la matière première du design.
Ainsi le design n’épouserait pas les fins de l’industrie, il aurait ses propres fins qu’il conviendrait alors de préciser.
La fin supposée du design
Définition
Cette voie conduit S. Vial à définir les fins que se propose le design :
« J'entends que le design avant d'être un espace, un produit ou un service, est principalement un effet qui advient dans un espace, un produit ou un service. »
« Relève ainsi du design ce qui, dans le champ de mon existence, se donne comme une expérience à vivre (en tant qu'elle a été intentionnellement construite). »
« Le design commence avec la jouissance inhérente à la perception de la beauté formelle. »
« En créant de nouvelles formes matérielles, il s'agit de refondre du même coup les formes sociales de la vie. Inventer de nouvelles manières d'exister ensemble et côte à côte. »
D'un point de vue théorique
D'un point de vue théorique il tente dans une certaine mesure de renouer avec les fins qui ont présidés à la naissance du design.
On pourrait considérer qu’il s’agit là d’une préoccupation éthique, qui vise le bien être des individus (ce qui n’entre pas dans le champ comptable et résiste à la mise en algorithme).
D'un point de vue pratique
Pour autant lorsque l'auteur en vient à déterminer ce que pratiquement cette définition est susceptible de produire nous pouvons nous interroger sur son ambition réelle :
« Si je peux faire usage de ma salle de bain avec sensualité, si je peux regarder l’heure avec étonnement ou si je peux me servir de mon téléphone avec amusement, je vis des moments de plaisir dans mes actes les plus banals qui augmente la qualité vécue de mon expérience d’exister. »
Ainsi pour forcer un peu le trait : la forme et la couleur de la tasse, la densité de la mousse et le fait qu’un acteur célèbre semble prendre plaisir à déguster son expresso importe davantage que le fait de boire un café pour son goût, ses effets biologiques ou le moment de socialisation qui l'accompagne.
Qu'en est-il « des formes sociales de la vie »
? Ici « l'expérience à vivre »
semble se réduire à un rapport ludique de soi à soi.
Conclusion
Une telle définition du design, si elle s’efforce bien d’améliorer l'expérience client, abandonne des aspects essentiels (la pérennité de l’objet et son histoire singulière notamment).
Elle ne cherche pas à réduire notre obsession de consommation mais tendrait à la renforcer au contraire.
Le moyen avant la fin
Introduction
Au-delà de cette première critique cette solution conduit à considérer le design comme un simple moyen auquel on cherche à trouver une fin a posteriori.
Cette méthode est pour le moins périlleuse.
Exemple : Youtube
L’outil informatique est un bon exemple e l'inversion entre le moyen.
Je découvre Youtube et ses fonctionnalités et je décide de m’en emparer, dès lors je cherche une fin qui pourrait s’adapter à ce moyen.
Deux approches s'offre alors à moi :
Je peux copier ce qui se fait déjà.
Auquel cas je n’innove pas, je me contente de reprendre à mon compte une fin déterminée par quelqu’un d’autre.
Ici la valeur se trouve donc toujours dans la fin (La question est de savoir si les contenus que je mets en ligne sont meilleurs que les contenus du même type)
Si je pars d'une idée originale, il y a de fortes chances que Youtube ne me rende pas le service idéal.
Il faudrait concevoir un outil dédié à mon idée. Dès lors le moyen ne peut précéder la fin.
À ce titre nous voyons souvent que les outils préformatés qui sont les nôtres ne sont pas suffisamment adaptés à notre besoin spécifique. Résultat : nous bricolons.
Adaptation de l'outil
C’est la raison pour laquelle, dans les ateliers de menuiserie notamment, les ouvriers adaptent leurs outils.
Ils brisent la standardisation des outils produits de manière industrielle pour en faire des outils singuliers susceptibles de remplir une fonction singulière.
Ainsi ils ne modifient pas la fin à cause du moyen mais au contraire modifient le moyen par rapport à la fin.
La valeur ne se trouve jamais dans l'outil
De fait, la valeur ne se trouve jamais dans l’outil mais uniquement dans ce que nous réalisons.
Le marteau n’est rien sans le clou planté dans le mur, qui lui-même n'est rien indépendamment du tableau accroché.
De même Youtube n’est rien sans les contenus des utilisateurs.
La valeur se trouve toujours dans la fin.
Du design pour le design
En inversant l'ordre fin/moyen le design est condamné :
soit à épouser les fins des autres (dans le cadre de l’industrie : la consommation de masse)
soit à passer sa vie à tenter de justifier sa pratique sans jamais savoir où l'on va. Autrement dit à bricoler.
De fait, on choisit souvent de faire du design pour le design.
Puis, éventuellement, on se pose la question de savoir ce que l’on vise à travers cette pratique.
Une telle démarche est plus que périlleuse, elle est presque irrémédiablement vouée à l'échec.
Conclusion
Il convient donc de définir les fins visées par le design avant de s’interroger sur le contenu de la pratique elle-même.