Rapport à soi-même (pp. 239-243)
Une illusion démocratique
Dans le Panopticon n’importe qui peut venir surveiller, ce qui peut être considéré comme une garantie démocratique.
Puisque nous cessons d’être soumis à l’arbitraire d’un seul ou d’une élite pour accéder à une société dans laquelle tout le monde surveille tout le monde.
Foucault démonte cet argument en montrant que ce regard permanent qui cesse d’être localisé démultiplie la nécessité d’un contrôle de soi.
« Deviens toi-même »
Nous pouvons ici faire un parallèle avec la démocratisation de certains réseaux sociaux, s’en extraire revient à être marginalisé.
Chacun se doit de se donner en spectacle devant chacun. Notre intimité devient une affaire publique.
Dès lors nous élaborons artificiellement une individualité.
Ce n’est plus le pouvoir qui formate l’individu mais nous-même.
Nous reconstruisons un naturel, nous mettons en scène notre prétendu quotidien.
Exemple : BeReal
Bien peu probable que les photos publiées sur cette application reflètent effectivement le réel et réponde à un critère d'authenticité.
Nous prenons volontiers la pause, nous arrangeons le décors, nous nous efforçons de donner une représentation spectaculaire de nous-même.
Nous faisons entrer notre intimité dans la sphère de la compétition : Qui donnera à voir la meilleure vie ?
Fondamental :
« En fait, toute institution panoptique, fut-elle aussi soigneusement close qu'un pénitencier, pourra sans difficulté être soumise à ces inspections à la fois aléatoires et incessantes : et cela non seulement de la part des contrôleurs désignés, mais de la part du public ; n'importe quel membre de la société aura le droit de venir constater de ses yeux comment fonctionnent les écoles, les hôpitaux, les usines, les prisons. Pas de risque par conséquent que l'accroissement de pouvoir dû à la machine panoptique puisse dégénérer en tyrannie ; le dispositif disciplinaire sera démocratiquement contrôlé, puisqu'il sera sans cesse accessible au grand comité du tribunal du monde. Ce panoptique, subtilement arrangé pour qu'un surveillant puisse observer, d'un coup d'œil, tant d'individus différents permet aussi à tout le monde de venir surveiller le moindre surveillant. La machine à voir était une sorte de chambre noire où épier les individus ; elle devient un édifice transparent où l'exercice du pouvoir est contrôlable par la société entière. »
pp. 241-242
Liberté illusoire
Dès lors il n’est plus besoin de menacer pour obtenir l’obéissance.
Celle-ci est internalisée, mieux elle répond au désir même des sujets qui par le fait se sentent libres puisque leur volonté coïncide avec la règle à laquelle ils sont soumis.
Fondamental :
« Il s'agit aussi de montrer comment on peut désenfermer les disciplines et les faire fonctionner de façon diffuse, multiple, polyvalente dans le corps social tout entier. Ces disciplines que l'âge classique avait élaborées en des lieux précis et relativement fermés — casernes, collèges, grands ateliers — et dont on n'avait imaginé la mise en œuvre globale qu'à l'échelle limitée et provisoire d'une ville en état de peste, Bentham rêve d’en faire un réseau de dispositifs qui seraient partout et toujours en éveil, parcourant la société sans lacune ni interruption. »
p. 243
Remarque : Saez vs Thoreau
Il ne s’agit pas ici de condamner unilatéralement le monde qui est le nôtre.
Je ne dis pas avec Damien Saez[2] Il faut foutre le portables aux chiottes, Et des coup d'pioche dans la télé.
Mais il convient de prendre conscience de ce qui se joue en arrière plan.
Le numérique et les réseaux sociaux ne sont pas un mal en eux-mêmes, nous vivons dans une société donnée qui mêle des éléments positifs et négatifs de manière intriqués.
La rejeter en bloc ne conduirait qu’à nous marginaliser, nous isoler.
Je dirais davantage avec
Thoreau[3] « Si je suis venu au monde, ce n’est pas pour le transformer en un lieu où il fasse bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais »
.
Autrement dit nous héritons d’une société avec laquelle il nous faut composer, il convient donc de négocier avec ce donné, ni tout accepter ni tout rejeter mais ouvrir un chemin d’existence.
BeReal permet effectivement d’entretenir un lien social, c’est un lieu de partage d’expérience et de convivialité… mais c’est également un outil qui nous décentre de nous-même et qui recompose une manière de faire société que l'on peut considérer comme problématique.
Une fois encore on retrouve le caractère pharmacologique de la technique.