L'organisation des genèses (pp. 183-190)
Fondamental :
« En 1667, l'édit qui créait la manufacture des Gobelins prévoyait l'organisation d'une école. Soixante enfants boursiers devaient être choisis par le surintendant des bâtiments royaux, confiés pendant un temps à un maître qui devait assurer leur éducation et leur instruction, puis mis en apprentissage chez les différents maîtres tapissiers de la manufacture (ceux-ci recevaient de ce fait un dédommagement pris sur la bourse des élèves) : après six ans d'apprentissage, quatre ans de service, et une épreuve qualificatrice, ils avaient le droit de lever et de tenir boutique dans n'importe quelle ville du royaume. On retrouve là les caractères propres à l'apprentissage corporatif : rapport de dépendance à la fois individuelle et totale à l'égard du maître ; durée statuaire de la formation qui est conclue par une épreuve qualificatrice ; mais qui ne se décompose pas selon un programme précis ; échange global entre le maître qui doit donner son savoir et l’apprenti qui doit apporter ses services, son aide et souvent une rétribution. La forme de la domesticité se mêle à un transfert de connaissance. En 1737, un édit organise une école de dessin pour les apprentis des Gobelins : elle n'est pas destinée à remplacer la formation chez les maîtres ouvriers, mais à la compléter. Or elle implique un tout autre aménagement du temps. Deux heures par jour sauf les dimanches et fêtes, les élèves se réunissent à l’école. On fait l'appel, d'après une liste affichée au mur ; les absents sont notés sur un registre. L'école est divisée en trois classes. La première pour ceux qui n’ont aucune notion de dessin ; on leur fait recopier des modèles, plus ou moins difficiles selon les aptitudes de chacun. La seconde pour ceux qui ont déjà quelques principes, ou qui sont passés par la première classe : ils doivent reproduire des tableaux à vue et sans en prendre le trait, mais en ne considérant que le dessin. En troisième classe, ils apprennent les couleurs, font du pastel, s'initient à la théorie et à la pratique de la teinture. Régulièrement, les écoliers font des devoirs individuels ; chacun de ces exercices, marqué du nom de l'auteur et de la date d'exécution, est déposé entre les mains du professeur ; les meilleurs sont récompensés ; réunis à la fin de l'année et comparés entre eux, ils permettent d'établir les progrès, la valeur actuelle, la place relative de chaque élève ; on détermine alors ceux qui peuvent passer dans la classe supérieure. Un livre général, tenu par les professeurs et leurs adjoints doit enregistrer au jour le jour la conduite des élèves et tout ce qui se passe à l'école ; il est soumis périodiquement à un inspecteur. »
pp 183-184
Le maître et l'apprenti
Dans le couple Maître/Apprenti ne s’agit pas d’un rapport au savoir analytique, ce dernier est saisi en bloc.
Le savoir appartient au maître, il est indissociable de l’individu qui le détient, il n’est pas abstrait, rationnellement formalisé, il n’y a pas de partie théorique.
L’apprentissage s’effectue à travers une pratique quotidienne non déterminée.
Dans ce contexte chaque artisan a une manière de travailler unique et l’apprenti qu’il formera développera des savoir-faire qui lui seront propres.
Remarque : rapport de dépendance et non une hétéronomie.
Exemple : Mon expérience de l'ébénisterie
Aujourd’hui le savoir dit académique ne s'enseigne plus (ou presque) de cette manière, le savoir a fait l’objet d’un travail de formalisation rationnelle.
De fait lors de ma formation d’ébéniste, j’avais des cours théoriques et des cours d’application.
La pratique durant l’année du CAP consistait non à travailler sur des pièces indifférenciées mais sur des exercices calibrés pour permettre de mettre en œuvre le savoir théorique préalablement intégré (assemblage, marqueterie, vernissage…).
Par opposition, à l’atelier, j’apprenais sans ordre ni méthode en fonction des projets en cours.
Je pouvais passer des heures à couper des morceaux de bois à la même dimension, puis travailler sur une mortaise…
J’apprenais sur le tas. Le rapport au temps n’est plus alors le même et le savoir emmagasiné est d’une autre nature.
Aspects positifs de cette évolution
On voit ici deux modalités d’enseignement très différentes.
Il est indéniable que la nouvelle méthode possède de grands avantages sur l’autre :
elle permet avant tout de calibrer les ouvriers, ils possèdent tous le même savoir et deviennent interchangeables.
On gagne également en terme de capacité prévisionnelle à propos des quantité et de la qualité des produits qui sont susceptibles d’être produits.
On peut même considérer qu’il y a là un progrès éthique, dans le modèle du maître et de l’apprenti, ce dernier pouvait faire l’objet de violence, il n’était pas possible de vérifier la manière de se comporter de chaque maître. Dans cette nouvelle modalité les procédures d’enseignement peuvent faire l’objet d’une véritable surveillance, chacun reçoit le même savoir selon les mêmes modalités.