L’art des répartitions (pp. 166-175)

La clôture

Le lieu disciplinaire

Ici on entre dans l’analyse du mode disciplinaire, il convient pour Foucault de déterminer précisément ses manifestations : la manière dont il se déploie d’une part et les effets qu’il produit.

Le premier élément qu’il expose est la répartition spatiale des corps.

Il convient d’isoler un espace du reste du monde qui sera le lieu disciplinaire.

Cela concerne d’abord les marginaux : les fous, les vagabonds, les malades… Il convient d’abord de les regrouper et de les isoler pour éviter qu’ils contaminent ou créent du chaos dans la société.

Mais bientôt cette volonté va s’étendre à d’autres catégories de la population :

Chez les écoliers, le couvent va devenir le modèle de l’institution scolaire, l’internat la norme.

les militaires également : « pour empêcher le pillage et les violences ; apaiser les habitants qui supportent mal les troupes de passage ; éviter les conflits avec les autorités civiles ; arrêter les désertions ; contrôler les dépenses » p. 166

RemarqueDes raisons rationnelles

On voit qu’il existe bel et bien des raisons concrètes qui justifient cette mise à l’écart, les mobiles qui conduisent au modèle disciplinaire sont variés et rationnellement compréhensibles, Foucault dénonce davantage les effets que les causes.

ConseilExercice

L'extérieur et l'intérieur

Il convient non seulement de circonscrire un lieu mais de rendre visible la frontière qui le sépare du reste du monde. On va construire des murs, tenir des portes, élaborer des uniformes qui permettront de distinguer visuellement les individus qui sont sujets de ce pouvoir disciplinaire.

Il est intéressant de constater que ce lieu hors du monde a pour double ambition d’empêcher l’extérieur de pénétrer à l’intérieur mais également l’inverse.

ExempleLa rue du Lisa

j’ai entendu dire (mais l’information me paraît douteuse) que « la rue » du Lisa avait été pensée pour permettre aux gens du quartier de traverser le lycée pour se rendre d’un lieu à un autre.

Cette idée est très singulière dans le cadre disciplinaire, puisqu’elle permettrait à l’extérieur de pénétrer à l’intérieur, elle brouillerait les cartes.

Quoiqu’il en soit on constate que cette idée n’a pas fait long feu, aujourd’hui le lycée est entouré de grillage et protégé de l’extérieur.

ComplémentLe Cercle d'Apple

L’espace analytique

Quadriller le territoire

L’enfermement physique n’est qu’un moyen parmi d’autres, il n’est pas à proprement parlé nécessaire dans le modèle disciplinaire.

Ce qui importe avant tout c’est de quadriller le territoire, de déterminer la situation et la circulation des individus. Savoir qui est où quand.

Ce savoir n’est pas nécessaire à chaque instant mais doit l’être, c’est-à-dire qu’il doit être possible de définir la position exacte d’un individu à tout moment sans qu’il soit effectivement nécessaire de le suivre effectivement.

Nous verrons plus tard qu’il convient même avant tout que l’individu soit conscient de cette possibilité, l’internalisation de la surveillance (se savoir éventuellement surveillé) augmente considérablement l’efficacité du dispositif.

SimulationExercice

« Il s'agit d'établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les individus, d'instaurer les communications utiles, d'interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun, l'apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser. La discipline organise un espace analytique. » p. 168

Travailler sur

le règlement du lycée [pdf], formel et informel en regard des objectifs déterminés ci-dessus par Foucault.

Emplacements fonctionnels

L'homme et les marchandises

Description de l’hôpital de Rochefort.

Chronologiquement ce n’est pas d’abord l’humain qui fait l’objet de cette attention mais la marchandise.

L’humain était à ce titre considéré comme de peu d’intérêt par rapport aux objets. Ce n’est pas sa dignité de personne qui le rend impropre à la surveillance, au contraire il est considéré comme négligeable au regard des marchandises.

Dans la mesure où il a une incidence sur la conservation des objets il va à son tour être surveillé.

Dès lors on va se servir des techniques de surveillance des objets pour les appliquer à l’humain, ce dernier n’est pas saisi comme un être à part dans sa qualité de vivant conscient mais comme une chose parmi d’autres qu’il convient de contrôler.

Aspect pharmacologique

Les raisons qui poussent à ce contrôle des individus peut être considérées comme positives puisqu’elles ont pour ambitions de gérer l’organisation de manière plus efficace.

Dans le cadre de l’hôpital cela permet effectivement de sauver davantage de vies.

On pourrait donc y voir avant tout un progrès bienvenu puisqu’il offre une plus grande sécurité à tous en général et notamment il limite drastiquement les risques de contagions des maladies.

Ce que Foucault pointe en creux c’est l’aliénation pour les individus qui en résulte, ces derniers perdent en grande partie leur autonomie, ils sont agit de l’extérieur.

FondamentalDistinction dépendance/hétéronomie

  • La dépendance consiste à être dans l’incapacité d’agir seul, soit par nécessité biologique soit par le fait de la loi.

    Alors on a besoin de l’autre pour agir, l’autre me représente, il gère mes intérêts.

    C’est le cas notamment en situation de minorité ou lorsqu’on fait appel à une tutelle.

    La dépendance n’exclut pas en droit[2] la dignité de personne, au contraire elle l’a suppose.

  • L’hétéronomie consiste à être manipulé de l’extérieur, je ne suis plus celui à qui on peut attribuer l’action. Hétéronomie[3]

    C’est le fondement de la défense d’Eichmann :

    « Dans leur évaluation de ma personnalité, les juges ont commis une erreur significative, dès lors qu’ils ne peuvent se projeter dans l’époque et les circonstances dans lesquelles je me trouvais pendant les années de guerre. Je n’ai jamais donné d’ordre en mon nom propre, mais plutôt agissais toujours sur ordres. Je n’étais pas un leader responsable et ne me sens pas coupable comme tel. »

    Extrait d’une lettre d’Adolf Eichmann datée du 29 mai 1962.

Suite de l'aspect pharmacologique

La question devient donc de déterminer à partir de quel moment nous perdons davantage que nous ne gagnons lorsque nous privilégions la sécurité sur la liberté.

On le voit l’idée n’est pas de récuser radicalement toute recherche de sécurité mais de prendre conscience qu’elle a un coût en terme d’autonomie.

Nos parents cherchent à nous protéger des aléas de l’existence, pour se faire ils s’efforcent de nous contrôler, mais ce contrôle est loin d’être bénéfique absolument, il nous entrave.

La fable de la grenouille (Wikipédia)

Le problème est que ce coût existentiel est fait d’une multiplicité de micro-abandons qui pris isolément n’ont que peu d’importance, mais mis bout à bout ils ont un véritable coût existentiel.

Nous nous trouvons dans le cas de la fable de la grenouille :

« Si l'on plonge subitement une grenouille dans de l'eau chaude, elle s'échappe d'un bond ; alors que si on la plonge dans l'eau froide et qu'on porte très progressivement l'eau à ébullition, la grenouille s'engourdit ou s'habitue à la température pour finir ébouillantée. » »

Lorsqu’un changement s’effectue d’une manière suffisamment lente, il échappe à la conscience et ne suscite ni réaction, ni opposition, ni révolte.

Les phénomènes d'adaptation, généralement bénéfiques à l'individu et aux sociétés, se révèlent ici finalement nocifs.

Le rang

Fondamental

« Le rang, au XVIIIe siècle, commence à définir la grande forme de répartition des individus dans l'ordre scolaire : rangées d'élèves dans la classe, les couloirs, les cours ; rang attribué à chacun à propos de chaque tâche et de chaque épreuve ; rang qu'il obtient de semaine en semaine, de mois en mois, d'année en année ; alignement des classes d'âge les unes à la suite des autres, succession des matières enseignées, des questions traitées selon un ordre de difficulté croissante. Et dans cet ensemble d'alignements obligatoires, chaque élève selon son âge, ses performances, sa conduite, occupe tantôt un rang, tantôt un autre ; il se déplace sans cesse sur ces séries de cases — les unes, idéales, marquant une hiérarchie du savoir ou des capacités, les autres devant traduire matériellement dans l'espace de la classe ou du collège cette répartition des valeurs ou des mérites. Mouvement perpétuel où les individus se substituent les uns aux autres, dans un espace que scandent des intervalles alignés. » p. 172

Le tableau

Il ne s'agit pas uniquement de localiser les corps mais de les organiser, c'est-à-dire de déterminer les places mais aussi les interactions, les circulations.

L'outil par excellence est ici le tableau.

L'idée consiste à définir un maximum de critères de comparaison et pour chacun d'entre eux établir des échelles de performance. Plus le découpage sera fin et l'échelle précise et plus les possibilités de détermination seront utiles.

D'un point de vue schématique être noté sur quatre couleurs est infiniment moins précis et manipulable que via des notes sur 20. L'idéal étant de disposer d'un barème, reprenant des critères variés qui seront tous notés selon une échelle de valeur. Un tel système permet de cartographier de manière fine l'ensemble des élèves d'une classe, de définir la place de chacun, voire d'établir un programme singulier qui optimisera les possibilités individuelles.

ComplémentLa gestion des corps dans les aéroports

Le Big Data

Le problème de ce système est la masse de données qu'il génère et la difficulté de retrouver les informations singulières qui sont susceptibles de servir dans telle ou telle occasion.

C'est ici qu'intervient l'informatique et plus précisément ce que l'on nomme aujourd'hui le Big Data.

La collecte des données personnelles devient un enjeu majeur de nos sociétés modernes car elles permettent de prédire avec de plus en plus de fiabilité les comportements des individus, non plus les mouvement sociaux mais les mouvements singuliers.

Au-delà de l'usage économique évident, il en est d'autres plus politiques qui permettent de contrôler les populations.

Fabriquer des différences

La catégorisation induite pas le rang revient à « réduire les singularités individuelles » ce qui semble au premier abord paradoxal. Classer semble au contraire permettre de différencier les individus.

Pour autant créer une catégorie consiste toujours à généraliser, perdre le foisonnement du singulier, le minéraliser dans un état qui représente non plus un individu mais une classe plus ou moins large d'individus.

Ainsi parler des LGBTQ+ fait bien émerger des différences mais par le même mouvement détermine des catégories, il convient dès lors de s'intégrer à l'une ou l'autre de ces étiquettes. La manière de s'envisager, d'envisager sa propre sexualité se trouve dès lors cartographiée de l'extérieur.

Rajouter des lettres n'est pas nécessairement une bonne nouvelle car plus les catégories sont nombreuses plus il est délicat de ne pas se reconnaître dans l'une ou l'autre, ma différence à plus de mal à être perçue comme légitime.

Si je ne suis confronté qu'a une binarité (homme/femme) je peux toujours estimer que je déborde de ces catégories grossières mais dès que je dispose d'une définition fine des possibles, je dois me reconnaître dans l'une d'elles, je dois me penser à travers ce référentiel déterminé.

Il est certain que sortir de sa solitude pour se reconnaître au sein d'une communauté peut constituer un progrès notable, si je me sens isolé dans mon problème d'identité il est difficile de m'en extraire, pouvoir partager avec d'autres qui vivent des expériences comparables (non analogue) constitue une aide précieuse.

L'émergence de ce référentiel est donc positif dans une certaine mesure mais il est également négatif puisqu'il nie toute singularité.

Encore un effet pharmacologique.