Vercors - Les animaux dénaturés
Le contenu
Il s'agit avant tout d'un roman, d'une fiction.
On peut néanmoins le considérer comme un conte philosophique.
La question qui se trouve au cœur de l'ouvrage est celle de la définition de l'homme.
Plus précisément, qu'est-ce qui pourrait permettre de distinguer l'homme de l'animal ?
C'est un livre qui fait rire le lecteur, Vercors se moque volontiers des travers de la civilisation (les scientifiques, les politiques, les juristes ou les ténors de l'économie)
Ce qui ne l'empêche pas de proposer des éclairages proprement philosophiques.
Certains passages risquent fort de vous choquer, nous avons évolué depuis les années 50 et quelques propos seraient aujourd'hui taxés de racisme. Pour autant, il convient de remettre l'ouvrage dans son contexte historique.
Extrait
“Voilà, pensait-il, que par la faute de ces fichus tropis, je redégringole dans les questions sans fin qu’on se pose à vingt ans... Que j'y redégringole ou m'y élève de nouveau ? songea-t-il avec une sincérité soudaine. Après tout, si j'ai cessé de les poser, était-ce pour des raisons bien valables ?” Quand on l'avait nommé juge, il était plus jeune qu'il n’est généralement d'usage dans le Royaume-Uni. Il se rappelait quelles inquiétudes agitaient alors sa conscience : “Qu'est-ce.qui nous permet de juger ? Sur quoi nous appuyons-nous ? La notion fondamentale de culpabilité, comment la définir ? Sonder les reins et les cœurs, quelle incroyable prétention ! Et quelle absurdité : qu’une faiblesse mentale diminue la responsabilité d’un délinquant, elle excuse en partie son acte et nous le condamnons moins durement. Or pourquoi l’excuse-t-elle ? Parce qu'il est moins capable qu’un autre de résister à ses impulsions ; mais par conséquent il récidivera. Il eût donc fallu au contraire plus qu’un autre le mettre hors d’état de nuire ; lui appliquer une peine plus forte et plus durable qu’à celui qui n’a pas d'excuse : puisque celui-ci ensuite trouvera, dans sa raison et le souvenir de la peine encourue, la force de se surmonter. Mais un sentiment nous dit que ce ne serait pas humain, ni équitable. Ainsi le bien public et l'équité s'opposent implacablement.” Il se rappelait que ces dilemmes l'avaient si bien tourmenté qu’il avait songé à quitter sa charge. Et puis, peu à peu, il s'était endurci. Moins que d’autres, l'incroyable sclérose de la plupart de ses confrères lui était un sujet constant de surprise et de consternation. Toutefois il avait fini, comme les autres, par se dire qu'il est sans profit de perdre ses forces et son temps à des questions insolubles. Par s’en remettre, avec une sagesse tardive, aux règles, à la tradition, et aux précédents juridiques. Par mépriser même, du haut de son âge mûr, cette jeunesse présomptueuse qui prétendait opposer sa petite conscience individuelle à toute la justice britannique !...
Mais voici qu’à la fin de sa vie il était confronté à un stupéfiant problème, qui brutalement remettait soudain tout en cause, puisque ni les règles, ni la tradition, ni les précédents juridiques n'étaient en mesure d'y répondre! Et il n'aurait sincèrement su dire s’il en était irrité ou ravi. À une sorte de rire silencieux, anarchique, irrespectueux, qui grouillait en lui avec ses pensées, il devait bien reconnaître qu’il penchait à se réjouir. Tout d’abord cela convenait admirablement à son vieux sens de l’humour. Et puis il aimait sa jeunesse. Il l'aimait et il jubilait de devoir lui donner raison,