Wolff - Trois utopies contemporaines

Première publication : 2017

Langue : française

Écriture : accessible

Silhouette : plantureuse

Coût : dispendieux

Le contenu

Nous avons perdu les deux repères qui permettaient autrefois de nous définir entre les dieux et les bêtes.

Nous ne savons plus qui nous sommes, nous autres humains. De nouvelles utopies en naissent.

  • D’un côté, le post-humanisme prétend nier notre animalité et faire de nous des dieux promis à l’immortalité par les vertus de la technique.

  • D’un autre côté, l’animalisme veut faire de nous des animaux comme les autres et inviter les autres animaux à faire partie de notre communauté morale.

Alors forgeons une nouvelle utopie à notre échelle. Ne cherchons plus à nier les frontières naturelles — celles qui nous séparent des dieux ou des animaux — et défendons un humanisme conséquent, c’est-à-dire un cosmopolitisme sans frontières.

Extrait

Dans l’Antiquité, chez Aristote en particulier, les hommes étaient définis par deux grandes oppositions. Au-dessus d’eux, il y avait des dieux ; au-dessous d’eux, il y avait des animaux. Ce que les hommes avaient en commun avec les uns les opposait aux autres ; et ce qui les distinguait des uns les liait aux autres. Les hommes avaient en commun avec les dieux d’être rationnels — ce qui les opposait aux animaux, qui ne peuvent pas argumenter ou raisonner. Mais les hommes avaient en commun avec les animaux d’être des vivants mortels, ce qui les opposait aux dieux, qui, eux, sont des vivants immortels. Il y avait donc trois sortes de vivants (zôa) ; pour ainsi dire trois « faunes » : les vivants immortels rationnels ; les vivants mortels sans raison ; et l’homme, entre ses deux « Autres » : ni irrationnel comme les bêtes, ni immortel comme les dieux. Voilà qui garantissait la nature humaine. L’homme est au centre du monde, non pas au sens où il en serait l’espèce la plus haute, mais au sens où sa propre nature, pour imparfaite qu’elle soit, est enserrée, et comme à mi-chemin, entre deux autres natures parfaites, l’animal et le dieu. Nous savions ce que nous avions à faire, parce que nous savions qui nous sommes. Mais, parce que nous savions que nous ne sommes ni des bêtes ni des dieux, nous savions aussi ce que nous ne pouvions pas faire. Vouloir se grandir jusqu’au ciel des dieux, c’était pécher par hybris, par la « démesure » de celui qui veut outrepasser ses limites naturelles. Inversement, tendre à s’abaisser jusqu’au niveau des bêtes, abandonner sa faculté rationnelle, c’était chuter dans la bestialité honteuse. Or, parce que, aujourd’hui, nous ne savons plus qui nous sommes, nous autres humains, nous nous identifions tantôt à des bêtes (libérales), tantôt à des dieux (libertariens). Telles sont les deux utopies de notre Modernité. Non pas des utopies de qui imagine vivre en un autre lieu, mais plutôt de qui imagine être un autre.