Evgueni Zamiatine - Nous (Nous autres)
Le contenu
Il s'agit du livre qui a inspiré Orwell pour son 1984.
L'auteur nous plonge dans un univers assez différent du nôtre, ce pourrait être assez loin dans l'avenir.
Les êtres humains vivent de manière très organisée, dans des citées isolées du reste du monde. Si l'image de Big Brother ou la Novlangue sont absentes de ce récit, on retrouve tous les atours de la société disciplinaire et la difficulté à penser par soi-même pour les simples citoyens.
L'histoire nous est racontée à travers le journal intime d'un homme captif de cette société qui par le hasard d'une rencontre sombre peu à peu dans une forme de folie, incapable qu'il est de concilier son monde avec ce qu'il entrevoit d'une autre manière de vivre.
C'est un roman qui montre l'incroyable pouvoir humain de donner sens aux choses et la responsabilité qui en découle. Il nous dévoile des représentations qui s'entrechoquent. Nous, spectateur et lecteur, nous possédons le recul nécessaire pour comprendre, le personnage lui se noie.
L'écriture de Zamiatine est déroutante, elle peut rebuter le lecteur mais les problèmes qu'il travaille sont de nature philosophique.
Extrait
Le soir. Une légère brume. Le ciel est voilé d'une fine étoffe de lait et d’or — et ce qu'il y a là-bas, au-dessus, est invisible. Les anciens le savaient, Là-haut habitait cet immense sceptique qui s'ennuie — leur Dieu. Nous, nous savons que C’est un néant bleu et cristallin, vide, indécent. Maintenant, je ne sais plus ce qu'il y a là-haut : j'ai appris trop de choses, Un savoir absolument certain d’être inconditionnel, c'est de la foi. J'avais en moi-même une foi solide, je croyais tout connaître de moi. Or voilà que — —
Je suis là — devant le miroir. Et pour la première fois de ma vie — oui, la première fois — je me vois clairement, nettement, lucidement — effaré, je me vois comme un “lui”, Moi — c'est lui : des sourcils noirs, froncés, rectilignes ; et entre eux — comme une cicatrice — une ride verticale (je ne sais pas si elle y était avant). Des yeux gris d'acier, cernés des ombres de l'insomnie ; et derrière cet acier… en fait, jamais je n'ai su ce qu'il y à là-bas. Et depuis ce “là-bas” (qui est à la fois ici et infiniment loin) — depuis ce “là-bas” je me regarde — je LE regarde, et je sais à coup sûr : lui — ce LUI aux sourcils noirs et rectilignes — ce n'est pas moi, c'est un étranger, je le découvre pour la première fois de ma vie. Et mon moi véritable, moi — ce n'est — pas lui...
Non. Point final. Tout cela — ce sont des sottises, toutes ces sensations absurdes — du délire, l'effet du poison d'hier… Quel poison? une gorgée du philtre vert _ ou elle? Peu importe. Je note cela, juste pour montrer comme la raison humaine — si juste, si aiguisée — peut se tromper bizarrement, s'embrouiller.… Cette raison qui a su absorber et digérer même cet infini qui faisait si peur aux anciens — grâce à…
Un déclic du numérateur - il affiche le numéro R-13. Tant mieux, je suis content de la visite : tout seul je me serais senti.