La mathématisation du monde

Mise en contexte

L’industrialisation au sens premier remonte bien au-delà du XIXe, il faut l’entendre comme complexification et mécanisation des modes de production.

Cet effort au cours des siècles a modifié les rapports humains en réduisant les solutions techniques à des processus mathématiques.

À l’origine le progrès technique relevait avant tout de l’expérience empirique, le processus de rationalisation théorique venait dans un second temps.

ExempleLa reproduction des poissons

La mystère de la reproduction des poissons n'a été levé en France que relativement récemment.

Un paysan sans instruction préalable se penche sur la question, à force de tâtonnements il parvient à obtenir des résultats.

Des scientifiques sont avertis de cette expérimentation. Ils analysent le procédé mis en oeuvre et à travers un effort de rationalisation parviennent à industrialiser le processus.

De fait, le mode de production artisanal n'est pas reproductible à l'identique, pour y parvenir il convient de le faire passer par le filtre de l'abstraction scientifique.

Le mode de production industriel

Ce mode de fonctionnement est contre-intuitif dans le cadre de notre manière d’envisager la science, l'expérience empirique devant suivre la théorie.

Pour reprendre Sartre nous pourrions dire que l’essence précède l’existence dans la production des objets techniques.

Pour autant, le plus souvent, la technique est le résultat d’un rapport hésitant avec le milieu, d’une interconnexion entre le réel et la conscience et non le pur produit abstrait de la pensée (voir également la découverte de la pénicilline par Fleming).

Ainsi le savoir-faire au départ est indissociable du producteur, il est le résultat d’un rapport à la matière.

Pour industrialiser le processus il convient d’extraire ce savoir-faire afin de le traduire en contenu théorique que l’on peut reproduire à l’identique chez des ouvriers distincts, qui peut également faire l’objet d’un découpage en tâches singulières et d’une réorganisation.

FondamentalÀ retenir

Le mode de production industriel inverse donc le processus de création.

Ce n'est plus l'action qui aboutit à la transformation de la réalité mais la réflexion théorique.

La compréhension du monde n'est plus le résultat de l'action mais elle la précède, elle s'en désolidarise.

Ce processus global d’industrialisation s’accompagne alors d’un appauvrissement des individus qui perdent leur singularité et leur maîtrise technique individuelle.

De même, le lien social se disloque dans la mesure où plus personne n’est essentiel au processus (difficulté de se valoriser soi-même ou de valoriser autrui).

Ce qui conduit Auguste Comte[1] à noter un « déplorable rétrécissement à la fois moral et mental, que tend à produire communément l’exorbitante prépondérance de l’activité industrielle dans l’ensemble de l’existence humaine ».