Responsabilité du design
Condamnation par le design
Nous sommes alors très loin des origines du design, de la volonté de transformer le monde comme le pensait notamment W. Morris. Le design est devenu un outil au service de la société de consommation, un moyen parmi d’autres de provoquer l’acte d’achat.
Un certain nombre de penseurs du design se sont efforcés et s’efforcent encore de dénoncer cette dérive considérant que le design a vendu son âme, que le projet lui-même est devenu éthiquement condamnable.
Hal Foster[1] : « Le design est l’un des principaux agent qui nous enferme dans le système quasi total du consumérisme contemporain »
.
Victor Papaneck[2] : « il est grand temps que le design, tel que nous le connaissons actuellement, cesse d’exister […] Ce que les architectes, les designers industriels, les planificateurs, etc., pourraient faire de mieux pour l’humanité serait de cesser complètement leur travail. »
Ils considèrent comme urgent que le design fasse son auto-critique et qu’il reconnaisse sa responsabilité concernant l’habitabilité du monde.
Ils plaident donc pour un design éthique.
Relativisation
Certains éléments permettent de relativiser en partie cette condamnation du design en reconnaissant qu’il s’inscrit dans un processus plus large qui le dépasse pour l’essentiel.
Sur ce sujet voir Vilem Flusser, Petite philosophie du design[3] sur lequel je m’appuie ici.
Une société sans éthique
On accuse le design d’être éthiquement condamnable mais la société entière manque d’assise éthique.
De fait, les institutions susceptibles de produire des valeurs morales sont en déclin dans notre monde moderne.
Aujourd’hui la science seule règne, sans véritable contre-pouvoir.
Or la science est bien incapable de produire des règles éthiques, elle s’appuie pour sa part sur le quantifiable, le calculable, ce qui peut entrer dans un algorithme ou une fonction mathématique.
Les valeurs morales ne sont pas quantifiables, elles reposent sur ce que Pascal[4] appelle les vérités du cœur, c’est-à-dire des connaissances immédiates qui sortent du cadre de la rationalité.
On ne quantifie pas la beauté d’un objet ou sa capacité à améliorer l’habitabilité du monde, non plus le sens ou le bien être.
Ce sont des questions qui sont de l’ordre de la philosophie, de la religion ou du politique. Or ces institutions ont perdu de leur prestige dans nos sociétés modernes.
Le design ne fait pas exception, il est rattrapé pour sa part par la rentabilité qui elle est de l’ordre du quantifiable.
La responsabilité du designer
On accuse le design d’être responsable mais le design est une spécialité or seul un individu est susceptible de responsabilité.
Qu’en est-il donc du designer singulier ?
La spécialisation rendue nécessaire par la complexification des savoirs a pour conséquence que l’objet n’est plus réalisé par une personne singulière mais demande la participation d’un grand nombre d’acteurs qui le plus souvent n’ont aucun lien les uns avec les autres.
Dès lors, la responsabilité se diluent entre ces différents intervenants, personne ne peut être considéré comme véritablement responsable.
C’est le processus global qui est condamnable, le designer n’est qu’un maillon de la chaîne et ne peut porter sur les épaules l’ensemble de la faute.
On pourrait même considérer qu’il est victime de l’industrialisation de la consommation.
« Le processus du design est organisé sur le mode d’une division du travail très poussées ; il n’est plus possible d’imputer à un individu particulier la responsabilité d’un produit. »
Flusser[3].