Bakounine - Dieu et l'État

Première publication : 1882
Langue : russe
Écriture : exigeante
Silhouette : plantureuse
Coût : bon marché
Le contenu
Michel Bakounine est un penseur révolutionnaire du XIXe siècle.
Ici il s'emploie à dénoncer le rôle conjoint de l'Église et de l'État dans l'oppression du peuple. Il s'agit donc d'une remise en cause du principe de laïcité.
À la suite de Voltaire, qui au XVIIIe siècle, avait affirmé : « Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer. »
Bakounine retourne la citation et affirme pour sa part : « Si Dieu existait, il faudrait s'en débarrasser »
.
Si la charge qu'il mène contre l'Église catholique romaine est centrale dans l'ouvrage, aucune religion n'échappe à sa critique et l'État est considéré comme l'agent, le collaborateur assidu, la main du religieux.
Il faut renverser l'État pour que le peuple redevienne maître son existence et qu'il cesse, une fois pour toute, d'être le troupeau que les aristocraties de tout bord se plaisent à tondre depuis que le monde porte l'humanité. Un projet qui le conduit donc au-delà de la laïcité.
Cet ouvrage polémique s'appuie avant tout sur une critique des idéalismes qui selon lui mènent nécessairement à un matérialisme brutal, il prône au contraire un matérialisme qui doit aboutir à un idéalisme raisonné.
Il fait reposer ses arguments sur une analyse précise des faits historiques et notamment de la politique française de la révolution jusqu'aux années 1830. Et sur l'évolution qui permit le passage de l'Ancien au Nouveau Testament, d'un Dieu national à la naissance d'un Dieu universel, condamnant au passage des personnages tels que Rousseau ou Robespierre.
Sa volonté d'aboutir à une sortie de l'État, conçu comme moyen d'organisation social, fait de lui l'un des pères fondateurs de l'anarchisme.
Extrait
Toutes les religions, avec leurs dieux, leurs demi-dieux, et leurs prophètes, leurs messies et leurs saints, ont été créées par la fantaisie crédule des hommes, non encore arrivés au plein développement et à la pleine possession de leurs facultés intellectuelles ; en conséquence de quoi le ciel religieux n’est autre chose qu’un mirage où l’homme, exalté par l’ignorance et la foi, retrouve sa propre image, mais agrandie et renversée, c’est-à-dire divinisée. L’histoire des religions, celle de la naissance, de la grandeur et de la décadence des dieux qui se sont succédé dans la croyance humaine, n’est donc rien que le développement de l’intelligence et de la conscience collectives des hommes. À mesure que, dans leur marche historiquement progressive, ils découvraient, soit en eux-mêmes, soit dans la nature extérieure, une force, une qualité ou même un grand défaut quelconques, ils les attribuaient à leurs dieux, après les avoir exagérés, élargis outre mesure, comme le font ordinairement les enfants, par un acte de leur fantaisie religieuse. Grâce à cette modestie et à cette pieuse générosité des hommes croyants et crédules, le ciel s’est enrichi des dépouilles de la terre, et, par une conséquence nécessaire, plus le ciel devenait riche et plus l’humanité, plus la terre devenaient misérables. Une fois la divinité installée, elle fut naturellement proclamée la cause, la raison, l’arbitre et le dispensateur absolu de toutes choses : le monde ne fut plus rien, elle fut tout ; et l’homme, son vrai créateur, après l’avoir tirée du néant à son insu, s’agenouilla devant elle, l’adora et se proclama sa créature et son esclave.
Le christianisme est précisément la religion par excellence parce qu’il expose et manifeste, dans sa plénitude, la nature, la propre essence de tout système religieux, qui est l’appauvrissement, l’asservissement et l’anéantissement de l’humanité au profit de la Divinité. Dieu étant tout, le monde réel et l’homme ne sont rien. Dieu étant la vérité, la justice, le bien, le beau, la puissance et la vie, l’homme est le mensonge, l’iniquité, le mal, la laideur, l’impuissance et la mort. Dieu étant le maître, l’homme est l’esclave. Incapable de trouver par lui-même la justice, la vérité et la vie éternelle, il ne peut y arriver qu’au moyen d’une révélation divine. Mais qui dit révélation, dit révélateurs, messies, prophètes, prêtres et législateurs inspirés par Dieu même ; et ceux-là une fois reconnus comme les représentants de la Divinité sur la terre, comme les saints instituteurs de l’humanité, élus par Dieu même pour la diriger dans la voie du salut, ils doivent nécessairement exercer un pouvoir absolu. Tous les hommes leur doivent une obéissance illimitée et passive, car contre la Raison divine il n’y a point de raison humaine, et contre la Justice de Dieu il n’y a point de justice terrestre qui tiennent. Esclaves de Dieu, les hommes doivent l’être aussi de l’Église et de l’État en tant que ce dernier est consacré par l’Église. Voilà ce que, de toutes les religions qui existent ou qui ont existé, le christianisme a mieux compris que les autres, sans excepter même les antiques religions orientales, qui d’ailleurs n’ont embrassé que des peuples distincts et privilégiés, tandis que le christianisme a la prétention d’embrasser l’humanité tout entière ; et voilà ce que, de toutes les sectes chrétiennes, le catholicisme romain a seul proclamé et réalisé avec une conséquence rigoureuse. C’est pourquoi le christianisme est la religion absolue, la dernière religion ; et pourquoi l’Église apostolique et romaine est la seule conséquente, légitime et divine.
N’en déplaise donc aux métaphysiciens et aux idéalistes religieux, philosophes, politiciens ou poètes : l’idée de Dieu implique l’abdication de la raison et de la justice humaines, elle est la négation la plus décisive de l’humaine liberté et aboutit nécessairement à l’esclavage des hommes, tant en théorie qu’en pratique.
Notions au programme
Le devoir L’État La justice La liberté La raison La religion La science La vérité